Rapport pour avis de la Commission Economique et Monétaire
La création d’une Agence de coopération des régulateurs de l’énergie.

1er février 2008 par Alain Lipietz

Exposé des motifs

La proposition de la Commission de créer une Agence de coordination européenne des régulateurs nationaux de l’énergie vient à point. Elle est la conséquence logique de l’évolution, depuis quelques années, du dispositif énergétique européen.

A l’origine, les services publics de l’énergie et du gaz, dans les 27 pays européens, étaient le plus souvent assurés par des entreprises, généralement publiques, et disposant d’un quasi monopole national ou régional. Mais depuis longtemps, ces entités avaient commencé à se vendre mutuellement de l’énergie. Il a donc fallu définir les règles d’une concurrence saine entre ces entités et les entités nouvelles qui pourraient apparaître sur le marché. La doctrine qui s’est peu à peu imposée est la séparation entre d’une part les deux réseaux de transport d’énergie (électricité et gaz), et d’autre part la multitude d’entreprises de production et de distribution d’énergie. Cette déconnexion doit assurer la neutralité du système de transport par rapport aux multiples producteurs. Les moyens de cette déconnexion (avec ou sans séparation patrimoniale) ne concernent pas la présente directive. De la même façon, la Commission précise que cette déconnexion doit être réalisée quelle que soit le régime de propriété, publique ou privée, tant du transporteur que des producteurs-distributeurs.

Le résultat de cette évolution est de transformer le système des réseaux de transport nationaux européens en monopoles naturels, exactement comme le système des routes, des ports et des aéroports entre lesquels évoluent des camions, des navires et des avions appartenant à des milliers d’entreprises en concurrence. La Commission va jusqu’à préciser qu’une partie des capacités de stockage du gaz devra être intégrée à ce bien public européen qu’est le système de transport.

Dès lors, trois problèmes se posent :

- Garantir le libre accès de tous les producteurs, grands et petits (de celui qui possède une éolienne au propriétaire d’un parc de centrales nucléaires), au système de transport, en toute transparence et sans discrimination ni de taille ni de nationalité.

- Réguler le marché de l’énergie en fonction de la politique énergétique de l’Union européenne (laquelle incorpore une politique d’intégration sociale et régionale et de défense de l’environnement, en particulier du climat).

- Réaliser l’interconnexion physique et l’harmonisation des normes techniques entre les réseaux au niveau européen, ainsi que leur ouverture à des pays tiers, fournisseurs notamment de gaz (la Russie) ou transmetteurs d’électricité (la Suisse).

Cette nécessaire interconnexion et harmonisation justifie la création d’une entité de coordination des régulateurs nationaux (l’Agence).

Le système des réseaux de transport nationaux ainsi interconnectés et de leurs régulateurs ainsi coordonnés par l’agence constituerait un véritable service public de l’énergie, bâti sur la coopération au niveau européen.

Votre rapporteur considère favorablement les propositions de la Commission. Deux points demandent cependant à être éclaircis.

Premièrement, les pouvoirs de l’Agence.

Avec raison, la Commission rejette l’hypothèse d’une modification des traités dans le seul but de doter cette Agence de pouvoirs contraignants. Elle reconnaît par ailleurs qu’elle n’a ni les moyens techniques ni le personnel pour faire ce travail. Elle propose donc une agence principalement consultative qui en réfèrerait à elle-même pour prendre les décisions et éventuellement les sanctions.

Votre rapporteur considère qu’il existe suffisamment de bases juridiques pour élargir les pouvoirs de cette agence en matière de marché intérieur et de lutte contre les abus de position dominante, tout en laissant à la Commission le pouvoir d’infliger des amendes. En revanche, la surveillance de la conformité de la politique des régulateurs nationaux avec la politique de l’énergie de l’Union ne peut, en l’état actuel des choses, que faire l’objet d’avis non contraignants.

Deuxièmement, la responsabilité de l’Agence.

La crédibilité de l’agence par rapport au marché exige d’elle une totale indépendance par rapport aux agents dont elle doit réglementer le comportement, que ce soient les gestionnaires de transport d’énergie ou les producteurs-distributeurs d’énergie. Une agence ainsi dotée d’un pouvoir de décision sur des agents privés ou publics doit disposer d’une légitimité fondée sur une responsabilité démocratique.

Votre rapporteur, vous proposant d’accroître la capacité d’action directe de l’agence (sans passer par la médiation de la Commission européenne), a donc cherché à équilibrer ces pouvoirs accrus par une responsabilité démocratique accrue vis à vis du Parlement et du Conseil. Non seulement l’agence ne peut agir qu’en conformité avec les traités et le droit dérivé, mais elle doit rendre compte de ses décisions et de ses avis aux instances législatives européennes d’où elle tient son autorité.

++++Amendements

Amendement 1

Récital (6)

L’Agence doit veiller à ce que les fonctions réglementaires remplies par les autorités nationales de régulation, conformément aux directives 2003/54/CE et 2003/55/CE, au niveau national soient correctement coordonnées et, si nécessaire, complétées au niveau communautaire. À cet effet, il est nécessaire de garantir l’indépendance de l’Agence, vis à vis des opérateurs de transports, de distribution ou de production d’énergie (publics ou privés), la conformité de son action aux directives et règlements du Parlement et du Conseil, ses compétences techniques et réglementaires, sa transparence et son efficacité.

Justification : Cet amendement vise à préciser l’indépendance de l’Agence : indépendance vis à vis des opérateurs entre lesquels elle doit arbitrer, responsabilité démocratique à l’égard du droit de l’Union et de ses organes législatifs.

Amendement 2

Récital (9)

Comme l’Agence a un aperçu des autorités nationales de régulation, elle doit avoir un rôle consultatif envers la Commission, le Parlement et le Conseil, en ce qui concerne les questions de régulation du marché. Elle doit également être tenue d’informer la Commission si elle constate que la coopération entre gestionnaires de réseau de transport ne produit pas les résultats nécessaires ou qu’une autorité nationale de régulation dont la décision est contraire aux orientations refuse de se conformer à l’avis de l’Agence.

Justification : Cet amendement vise à étendre les missions de conseil de l’Agence vis à vis des instances législatives de l’Union. En revanche elle n’a un devoir d’alerte que par rapport à l’exécutif (la Commission).

Amendement 3

Récital (10)

L’Agence doit également être en mesure d’adopter des orientations non contraignantes afin d’aider les autorités de régulation et les acteurs économiques à échanger de bonnes pratiques dans l’application de la politique énergétique définie par le Parlement et le Conseil.
Justification : Cet amendement vise à rappeler que ce sont les instances législatives de l’Union qui fixent les objectifs de politique énergétique en vue desquelles on recherche de bonnes pratiques.

Amendement 4

Récital (13)

L’Agence doit disposer des pouvoirs nécessaires pour remplir les fonctions réglementaires de façon efficace et surtout indépendante. L’indépendance des autorités de régulation vis à vis des opérateurs de transport, de distribution et de production d’énergie est non seulement un principe essentiel de la bonne gouvernance mais aussi une condition fondamentale pour assurer la confiance des marchés. Reflétant la situation au niveau national, le Conseil des régulateurs doit donc agir indépendamment de tout intérêt commercial et ne solliciter ni ne prendre d’instruction d’aucun gouvernement ou autre exécutif public ou privé.

Justification : Cet amendement vise à préciser l’indépendance de l’Agence : indépendance vis à vis des opérateurs entre lesquels elle doit arbitrer, responsabilité démocratique à l’égard du droit de l’Union et de ses organes législatifs.

Amendement 5

Récital (13)
L’Agence doit disposer des pouvoirs nécessaires pour remplir les fonctions réglementaires de façon efficace et surtout indépendante. L’indépendance des autorités de régulation est non seulement un principe essentiel de la bonne gouvernance mais aussi une condition fondamentale pour assurer la confiance des marchés. Reflétant la situation au niveau national, le Conseil des régulateurs doit donc agir indépendamment de tout intérêt commercial et ne solliciter ni ne prendre d’instruction d’aucun gouvernement ou autre entité publique ou privée tout en observant les règlements et directives du Parlement et du Conseil relatifs à al politique de l’énergie, de l’environnement, du marché intérieur et de la concurrence et en rendant compte aux autorités de l’Union de ses décisions et propositions.

Justification : Précise la responsabilité démocratique de l’Agence.

Amendement 6

Récital (14)

Si l’Agence a des pouvoirs de décision, les parties intéressées doivent, pour des raisons de simplification de procédure, disposer d’un droit de premier recours auprès de la Commission de recours qui doit faire partie de l’Agence mais être indépendante de la structure administrative et réglementaire de cette dernière sans préjudice de leurs droits de recours devant la Cour de Justice.

Justification : Précise les droits de recours des parties vis à vis des décisions de l’Agence.

Amendement 7

Récital (17)

L’Agence doit appliquer les règles générales relatives à l’accès du public aux documents détenus par les organismes communautaires, en particulier la Convention d’Aarhus. Le Conseil d’administration doit établir les modalités pratiques de protection des données commercialement sensibles et des données à caractère personnel.

Justification : Réaffirme le caractère contraignant de la Convention d’Aarhus (notamment sur la transparence des études d’impact environnemental) vis à vis de toutes les institutions de l’Union, et donc de l’Agence.

Amendement 8

Article 4
Types d’actes établis par l’Agence
c). émettre des avis et formuler des recommandations destinés à la Commission, au Parlement, au Conseil, aux opérateurs de production et de distribution, et aux consommateurs.

Justification : Elargit les missions de conseil de l’Agence des institutions à la société civile.

Amendement 9

Article 4

Types d’actes établis par l’Agence

d). prendre des décisions individuelles dans les cas particuliers visés aux articles 6, 7 et 8.

Justification : Corrélatif à l’amendement 11 portant sur l’article 6.

Amendement 10

Article 5

Tâches générales
L’Agence peut, à la demande de la Commission, du Parlement ou du Conseil, ou de sa propre initiative, émettre un avis, à l’intention de ces institutions de l’Union, sur toutes les questions relatives à l’objet pour lequel elle a été instituée.

Justification : Voir amendement 2.

Amendement 11

Article 6
Tâches concernant la coopération des gestionnaires de réseau de transport

4). L’Agence émet un avis dûment motivé, à l’intention de la Commission, si elle estime que le projet de programme de travail annuel ou le projet de plan d’investissement décennal qui lui sont soumis conformément à l’article 2 quinquies, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1228/2003 et à l’article 2 quinquies, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1775/2005 ne garantissent pas un traitement non discriminatoire, une concurrence effective et le fonctionnement efficace du marché, ou la conformité avec la politique énergétique définie par le Parlement et le Conseil.

Justification : voir amendements 1 et 3.

Amendement 12

Article 6

Tâches concernant la coopération des gestionnaires de réseau de transport

5). Par délégation du pouvoir de police administrative dont dispose la Commission, et suivant les définitions à l’article 2 sexies, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1228/2003 et à l’article 2 sexies, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1775/2005, l’Agence peut prendre des décisions suspensives et proposer à la Commission des amendes si elle estime qu’un code technique ou commercial ne garantit pas un traitement non discriminatoire, une concurrence effective et le fonctionnement efficace du marché, qu’un code technique ou commercial n’a pas été convenu dans un délai raisonnable ou que les gestionnaires de réseau de transport n’appliquent pas de code technique ou commercial.
Justification : Fixe la base juridique et le pouvoir suspensif de l’agence en matière de droit de la concurrence et du marché intérieur. Réserve en revanche le pouvoir d’infliger des sanctions à la Commission, faute de base juridique évidente.

Amendement 13

Article 7

Tâches concernant les autorités nationales de régulation

2). L’Agence peut, conformément à son programme de travail ou à la demande de la Commission, adopter des orientations (suppression de deux mots) afin d’aider les autorités de régulation et les acteurs économiques à échanger de bonnes pratiques. Ces orientations peuvent être contraignantes lorsqu’elles visent les abus de position de monopole, l’accès des producteurs et distributeurs aux réseaux et la non-discrimination ; elles sont non-contraignantes lorsqu’elles visent l’équilibre des marchés de l’énergie par une hausse ou une modification des techniques de production, les économies d’énergie et de gaz à effet de serre et l’amélioration de l’efficacité énergétique de l’Union, conformément à la politique énergétique définie par le Parlement et le Conseil.

Justification : Distingue le caractère contraignant des décisions de l’Agence dans les domaines où le droit communautaire primaire, dérivé et interprété est déjà bien clair, et le caractère non-contraignant de ses avis d’application de la politique de l’Union dans les domaines où les meilleurs politiques sont encore controversées.

Amendement 14

Article 7

Tâches concernant les autorités nationales de régulation

4). L’Agence émet un avis, à la demande de toute autorité nationale de régulation ou de la Commission, concernant la conformité d’une décision, prise par une autorité de régulation, aux orientations mentionnées dans la directive 2003/54/CE, la directive 2003/55/CE, le règlement (CE) n° 1228/2003 ou le règlement (CE) n° 1775/2005 et toute directive et règlement définissant la politique énergétique de l’Union.

Justification : Etend la responsabilité démocratique de l’Agence à la prise en compte des extensions éventuelles du droit de l’Union en matière énergétique.

Amendement 15

Article 9

Conseil d’administration

1. Le Conseil d’administration se compose de douze membres, dont Six parmi les candidats proposés par la Commission et Six parmi ceux proposés par le Conseil. Le mandat est de cinq ans, renouvelable une fois.

Justification : Elargit les candidatures au Conseil d’Administration.

Amendement 16

Article 10

Tâches du Conseil d’administration

10). Le Conseil d’administration adopte le rapport annuel sur les activités de l’Agence visé à l’article 14, paragraphe 8, et le transmet, le 15 Avril au plus tard, au Parlement européen, au Conseil, à la Commission, au Comité économique et social européen et à la Cour des comptes. Ce rapport comporte une partie distincte, approuvée par le Conseil des régulateurs, concernant les activités réglementaires de l’Agence au cours de l’année de référence. Ces Cinq institutions de l’Union donnent ou non quitus de la mise en œuvre par l’Agence de la politique de l’Union en matière énergétique, du marché intérieur et de la concurrence. Le Parlement formule des recommandations pour la programme de travail visé à l’article 10-4.

Justification : Précise les réponses des instances de l’Union au rapport annuel de l’Agence et avance sa date de façon à ce que ces réponses puissent orienter l’agence pour le programme de l’année suivante.

Amendement 17

Article 13
Directeur
2). Le Directeur est nommé par le Conseil des régulateurs, en fonction de son mérite ainsi que de ses compétences et de son expérience, sur la base d’une liste d’au moins deux candidats proposée par la Commission et deux par le Conseil après appel à manifestation d’intérêt. Le Parlement peut s’opposer à cette nomination si les réponses données ne semblent pas en conformité avec les orientations de l’Union. Avant d’être nommé, le candidat retenu par le Conseil d’administration peut être invité à faire une déclaration devant la commission compétente du Parlement européen et à répondre aux questions posées par les membres de cette dernière.

Justification : Précise la responsabilité démocratique du Directeur.

Amendement 18

Article 16

Recours

1. Toute personne physique ou morale peut former un recours contre une décision, visée aux articles 6, 7 et 8, dont elle est le destinataire ou contre une décision qui, bien que prise sous la forme d’une décision dont une autre personne est le destinataire, la concerne directement et individuellement.

Justification : Voir amendement 12.

Amendement 19

Article 27

Accès aux documents

1. Le règlement (CE) no 1049/2001 [1] s’applique aux documents détenus par l’agence.

2. Le Conseil d’administration arrête les modalités pratiques de mise en œuvre du règlement (CE) n° 1049/2001 et la Convention d’Aarhus dans les six mois suivant l’entrée en vigueur du présent règlement.

Justification : Voir amendement 7.

Amendement 20

Article 30

Évaluation

1. La Commission procède à une évaluation des activités de l’Agence. Cette évaluation porte sur les résultats obtenus par l’Agence et sur ses méthodes de travail relativement à son objectif, à son mandat et aux tâches définies dans le présent règlement et dans son programme de travail annuel. Cette évaluation s’appuie sur une large consultation, via le site internet de la Commission, des parties intéressées par la politique de l’énergie, de la concurrence et du marché intérieur : les différents gestionnaires de réseaux, de production, de distribution, les associations professionnelles et de consommateurs ou les organisations de défense de l’environnement. Ce rapport est remis au Parlement et au Conseil à la date visée à l’article 10-10

Justification : Précise la méthode d’évaluation et son utilité dans l’élaboration des programmes de l’agence.

Photo Cedric Boismain, sous licence CC.


NOTES

[1JO L 145 du 31.5.2001, p. 43.



Reproduction autorisée avec la mention © lipietz.net (http://lipietz.net/?article2161) (Retour au format normal)