Le Parisien
L’affaire Rhodia

23 novembre 2005 par Alain Lipietz

Vous demandez la mise en place d’une commission d’enquête sur le rôle de la commission européenne de la concurrence dans l’affaire Rhodia. Pour quelle raison ?

Il s’est passé dans ce dossier des choses effarantes qui entachent la réputation de rigueur de la Commission. De 1999 à 2004, elle a autorisé plusieurs opérations financières et industrielles sans véritablement contrôler leur régularité. Il semble ainsi qu’elle n’ait pas vérifié la véritable indépendance de Rhodia par rapport à Rhone-Poulenc, son ancienne maison-mère, laissant ainsi cette dernière procéder à toute une série de manoeuvres extrêmement préjudiciables pour Rhodia et entraînant de ce fait la ruine de ses actionnaires et parmi eux des salariés. Parmi ces opérations, je relève surtout le transfert à Rhodia d’actifs pourris qui ont donné lieu à des délits écologiques tels que ceux de Cubatão au Brésil ou de Silver Bow aux Etats-Unis et dont le coût financier s’élève à plusieurs centaines de millions d’euros.

Que reprochez-vous concrètement à la commission ?

D’avoir dans un premier temps commis de graves erreurs. Il se peut, en effet, qu’en 1999, la commission n’ait pas été en mesure d’apprécier exactement les conséquences des manoeuvres auxquelles se livrait Rhône Poulenc. En revanche, depuis 2000, ces « anomalies » étant devenues évidentes, je suis persuadé que la commission a été complice ou, en tout cas, a fait preuve d’une indifférence coupable à l’égard des agissements de Rhone-Poulenc. En outre, je constate que, dans le cadre de mes fonctions actuelles de rapporteur sur la politique de concurrence, la commission n’a de cesse de me mettre des bâtons dans les roues.

C’est à dire ?

Ainsi, certaines décisions de la Commission relatives à cette affaire ont été retirées du site de l’Union européenne. Or, il se trouve que ces textes, émis à des périodes différentes, montrent bien que la commission a édicté des décisions très contestables sur le sujet... Je regrette aussi qu’à la lettre que Pervenche Bérès, la présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, a envoyées à la Commission pour obtenir plus de détails à propos du dossier Rhodia, la Commissaire actuelle n’a apporté que des réponses formalistes ("ce n’est pas, ce n’est plus notre affaire")...

Comment expliquez-vous ces anomalies ? Par un mauvais fonctionnement de la Commission ?

Probablement mais pas seulement. On ne peut pas ne pas relever certaines coincidences. Par exemple, Neelie Kroes, l’actuelle présidente de la commission de la concurrence a été, de 1994à 2002,membre du conseil d’administration de la filiale hollandaise de Price Waterhouse Coopers, un groupe qui à l’époque fut le cabinet de commissaires aux comptes de Rhodia. De même, Karel Van Miert, commissaire de la concurrence en 1999, est aujourd’hui au conseil de surveillance de Vivendi Universal présidé par l’ancien président de Rhône Poulenc.



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