La Lettre du cadre territorial, n°265
Droit de grève et service minimum

décembre 2003 par Alain Lipietz

Faut-il une loi imposant un service minimum dans les transports ?

Non, il ne faut pas imposer le service minimum dans les transports. Cela reviendrait à y interdire le droit de grève, et comme il existe quantité de secteurs dont l’utilité sociale est aussi criante que dans les transports, ça revient à terme à l’interdire partout.

Nous avons des systèmes de transports pluralistes. Les usagers ne sont donc pas "pris en otage". Les embouteillages monstrueux qui accompagnent les grèves de transports publics ont au moins la vertu de faire comprendre aux automobilistes quotidiens l’avantage qu’ils tirent du fait que leurs concitoyens utilisent ces transports en commun.

En revanche, les grèves de transport sans préavis sont inacceptables, car l’absence de préavis ne pénalise que l’usager, pas l’employeur. Par ailleurs, les syndicats ont intérêt à proportionner les inconvénients qu’ils infligent aux usagers et la légitimité de leur lutte. Ce qu’ils ont su faire en décembre 1995... mais pas toujours.

Les dispositifs "d’alarme sociale", tels que ceux qui ont été mis en place à la RATP et SNCF, sont-ils une solution satisfaisante qui permettraient de se passer de la loi ?

Oui. Encore faut-il faire respecter le préavis, et que les employeurs sachent entendre cette "alarme" ! On assiste plutôt à une dérive autiste des pouvoirs publics.

En légiférant d’abord sur les transports, ne laisse-t-on pas l’impression qu’on s’attaque à la "partie émergée de l’Iceberg" en laissant de côté l’immense majorité des fonctionnaires et une grande partie des autres services publics ?

Il y a quantité de services publics où les salariés disposent d’une arme autrement plus redoutable que dans les transports : hôpitaux, électricité, etc. Si la grève totale des soins et la coupure du courant n’ont jamais lieu (en France métropolitaine), c’est que justement les syndicats savent "jusqu’où ils peuvent aller". L’exemple des enseignants montre, a contrario, que faute d’une arme aussi redoutée, leur situation se dégrade depuis des décennies sans que les gouvernements prennent la mesure de la gravité de la situation.

Peut-on sortir de ce débat " par le haut" en cessant d’opposer sans cesse l’intérêt de l’usager et défense du droit de grève ? Que nous apporte les enseignements des dispositifs mis en place dans d’autres pays européens ?

Les pays à paix sociale sont les pays où les salariés des services publics sont bien payés et respectés par leurs dirigeants. En échange de ce contrat implicite, les syndicats y signent des accords de long terme et la paix sociale y est rarement rompue. Cela a un prix. Mais l’arrogance des directions et le manque de respect ont aussi un prix : l’instabilité. Il ne s’agit pas de jeter la pierre au "compromis à la française", fondé sur la "logique de l’honneur professionnel" (Philippe d’Iribarne). Mais même ce compromis-là est remis en cause par le "salaire au mérite". Si la France renonce à cet ultime compromis, les services publics seront de plus en plus menacés.

Entretien avec Nicolas Braemer.



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