« Ce traité est une aberration économique »
L’Humanité

9 octobre 2012 par Alain Lipietz

Économiste, ancien député européen (Europe Écologie-les Verts), Alain Lipietz dit son refus d’un traité qui permet à la Commission européenne d’imposer l’austérité perpétuelle.

Traité européen

Alain Lipietz : « Ce traité est une aberration économique »

Alors que les députés votent aujourd’hui 
sur le traité budgétaire européen, quelles 
sont les raisons de votre opposition à celui-ci ?

Ce traité est une aberration économique. Dans les dix années qui viennent, nous devons assumer une transition énergétique et alimentaire pour résoudre la crise. Cela demande énormément d’investissements. La question d’actualité n’est pas de revenir absolument à l’équilibre des comptes. Nous devons investir, particulièrement dans le secteur public et en aidant les collectivités territoriales dans les domaines, par exemple, du transport, du bâtiment, etc. En tant qu’Européen convaincu, je ne supporte pas cette Europe qui se met en pilotage automatique avec des règles imposant de revenir à l’équilibre à 0,5 % de déficit près. C’est arbitraire. Cela empêche le Parlement européen de prendre des décisions en fonction de la conjoncture et d’un projet politique.

Vous êtes sceptique sur 
la portée réelle du pacte 
de croissance ou de la taxation des transactions financières censés contrebalancer les aspects négatifs du traité, pourquoi ?

Comme tous les matamores, François Hollande, une fois élu, est arrivé en disant : les Allemands vont voir de quel bois je me chauffe. Et en juin, au sommet européen, il obtient le pacte de croissance. Mais quand on entre dans le détail, les choses sont moins évidentes. Il était prévu une augmentation de la capacité de prêt de la Banque européenne d’investissement (BEI). Ce n’est pas fait. Le mécanisme européen de solidarité (MES) devait s’appliquer depuis le 1er juillet à l’Espagne. Il est bloqué. Il devait y avoir une taxe sur les transactions financières. Seulement, passé le sommet européen, neuf chefs de gouvernement, une fois retournés dans leur pays, se sont finalement prononcés contre ce dispositif fiscal.


Et les 120 milliards d’euros annoncés au nom du pacte de croissance, s’agit-il d’une avancée, selon vous ?

C’est, pour l’essentiel, une réorientation de fonds non utilisés. C’est toujours la même chose. On vote des crédits. À la fin de l’année, ceux qui n’ont pas été utilisés sont bloqués. Il y a donc toujours une petite réserve. C’est celle-ci qui va être enfin débloquée. Et nous sommes déjà en octobre…

Le projet de loi organique concernant la règle d’or transcrit dans le droit français le traité budgétaire. Quelles en seraient les conséquences pour notre pays, qui connaît 
déjà une croissance nulle ?

Si la loi organique est la transcription du traité, alors ce que je dis du traité s’applique à celle-ci. La seule chose qui pourrait la sauver, c’est qu’elle permette de ne pas appliquer le traité. Ainsi, chaque année, les gouvernements pourraient décider que on est en situation exceptionnelle, façon simple de s’affranchir alors du traité. Sinon, s’appliquera la règle des 0,5 % de déficit structurel pour notre budget. Et nous serons condamnés à la stagnation. Le déficit structurel se détermine en rapport avec notre croissance potentielle. Or, c’est la Commission européenne qui en détermine le taux. C’est donc cette Commission qui déterminera si la France sera ou non en déficit structurel. C’est cette 
Commission qui peut nous obliger ainsi à faire de l’austérité perpétuelle, donc nous empêcher de relancer la croissance par l’investissement.

Entretien réalisé par Max Staat



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